Quand la justice burundaise s'incline devant Nkurunziza...
Quand un magistrat d'une haute cour s'incline ainsi devant Pierre Nkurunziza, cela s'appelle "indépendance de la justice" au Burundi.
La justice, c'est la plus grave maladie du Burundi depuis notre indépendance. Un cinquantenaire de crimes inouïs qui n'ont jamais été éclaircis, jugés. Déjà, notre indépendance commence dans le sang avec l'assassinat du Premier Ministre Louis Rwagasore le 13 octobre 1961; la justice ne saura pas dire toute la vérité. Moins de 4 ans plus tard, le 15 janvier 1965, un autre Premier Ministre et compagnon de Rwagasore, Pierre Ngendandumwe, tombe sous les balles; la justice ne dira jamais qui l'a tué. Son successeur Joseph Bamina périt dans le cycle des massacres et répression d'octobre 1965. La justice n'a pas su juger les "événements" sanglants de 1965. La dictature militaire de 1966 à 1993 a empiré la situation des juges qui ne sont devenus que de simples fonctionnaires placés généralemnt sous l'autorité du gouverneur de province et du responsable provincial de l'UPRONA. A un moment le ministre de l'Intérieur était à la fois celui de la Justice sous le régime Micombero. Le rubicon a été atteint en 1971 quand, dans l'affaire Ntungumburanye, les juges ont lu des arrêts sur de bouts de papiers rédigés la nuit précédente par un groupe influent d'autorités militaires et civiles. Certains membres des familles des prévenus se sont vu condamnés à de lourdes peines sans avoir eu à se faire convoquer ni à comparaitre devant le juge. Bien plus grave, la justice n' a rien dit face à la tragédie de 1972; ainsi 45 ans plus tard, les orphelins de l'époque l'utilisent comme un gourdin contre leurs adversaires. De même, la justice a été tantôt muette tantôt instrumentalisée face à l'assassinat du Président Melchior Ndadaye en 1993 et des massacres qui en ont suivi. la conséquence en a été une décennie horrible de guerre civile. La justice a toujours été du côté des puissants: les adversaires du pouvoir en place ont de tout temps été considérés comme des ennemis du pays à châtier tandis que les tenants du pouvoir étaient propres, très propres.
L'accord d'Arusha n'a rien changé à la situation de la Justice à part un soupoudrage éthnique asséné à cette institution. Si le siège d'hier était composé de magistrats tutsi pour lire les instructions d'un président tutsi, le siège d'aujourd'hui est généralement composé de magistrats hutu-tutsi pour lire les instructions d'un président hutu. Les sentances se ressemblent: injustes et nauséabondes de la même manière. Les juges sont nommés par le président de la république avec l'approbation d'un sénat complètement soumis aux volontés de l'exécutif. Le conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la république secondé de son ministre de la justice tandis que la majorité du conseil est nommé par le même président. Les magistrats sont recrutés de manière occulte, généralement sur base du militantisme; le même critère prévaut dans la gestion de la carrière des magistrats. Le ministre de la justice fait et défait des carrières comme bon lui semble. Chez les magistrats, le Président Nkurunziza est "un dieu tout puissant" qui se fait vénérer comme on le voit sur la photo.
Cette justice soumise à Nkurunziza n'a pas pu juger la vente illégale de l'avion présidentielle en 2005, la torture de l'ancien Vice-président de la république Alphonse-Marie Kadege en 2006, les massacres des militants du FNL de Muyinga en 2007, l'assassinat d'Ernest Manirumva en 2009, les exécutions extra-judiciares des militants du FNL et du MSD en 2010-2012, etc. La Cour Suprême a jugé en catimini Pierre Nkurunziza le 08 juillet 2011 pour lui enlever une peine capitale qui lui pesait depuis le 11 février 1998. La justice a été incapable de dire à Nkurunziza qu'il n'a pas droit à un troisième mandat présidentiel et cela a entraîné la crise actuelle. Cette justice soumise est utilisée comme un instrument de la répression et de la limitation des libertés publiques en emprisonnant arbitrairement les opposants et en sévissant contre les organisations citoyennes. Encore une fois, la justice est incapable de juger les auteurs des crimes de disparitions forcées, de torture, d'assassinats et d'exécutions extra-judiciaires. Les puissants nagent dans une impunité totale. Les juges n'hésitent même plus à condamner des victimes de torture, incapables de se tenir debout devant eux, comme à Muyinga le 26 février 2017.
Ainsi vient cette image du 21 mars 2017: un juge chargé de vérifier l'utilisation régulière des comptes de l'Etat par Pierre Nkurunziza s'incline devant le même Nkurunziza! Comme un signe de respect des institutions disent certains. Comme si la justice n'est pas une Institution. A mon avis, Nkurunziza ne devrait pas trop se plaire d'une telle posture car le même juge s'inclinera de la même manière devant un autre dictateur quand il s'agira de juger Pierre Nkurunziza.
La réforme de la justice est plus qu'un impératif, un passage obligé sur le chemin de la démocratie burundaise.
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