Lettre ouverte du journaliste Marc Hoogsteyns au Premier Ministre Belge sur la situation au Burundi


Monsieur le Ministre , je viens juste de rentrer du Burundi. Je suis Belge, journaliste et cameraman, basé dans la Région des Grands Lacs. L’année dernière j’ai fait la couverture médiatique des événements au Burundi durant plusieurs mois ; mais aussi j’ai mainte fois visité ce pays dans mon passé.

Et je suis en contact avec Vos postes diplomatiques dans la région. Je n’avais caché a personne que je préparais un reportage de 10 minutes sur la situation au Burundi et j’avais même informé quelques officiels Burundais que j’allais venir. L’autre raison pour laquelle j’étais parti : je voulais donner un cours de camera aux gens du journal Iwacu, le seul journal libre qui peut encore fonctionner dans ce pays.

Certains de mes contacts au Burundi m’avaient aussi dit que le pays était calme et que la vie reprenait. J’ai aussi voulu filmer ça. Il y a dix jours, une collègue américaine a été arrêtée dans le pays avec son fixateur et son chauffeur. Ils ont été libérés après cela, mais certains de leurs équipements ont été confisqués.

Le mois dernier, un collègue burundais du journal Iwacu a disparu et il est probablement mort. Iwacu est devenu comme un rocher sur une plage déjà vide parce que c’est le dernier journal libre qui est encore opérationnel dans le pays, après que les autres médias libres ont été fermés ou même brûlés au sol. La plupart des journalistes burundais ont fui, d’autres sont passés sous terre et d’autres ont été arrêtés ou même tues.

Alors je savais d’avance que ma mission serait difficile. Mais je voulais encore y aller, Monsieur le Ministre. Et je voulais interroger les responsables gouvernementaux pour équilibrer d’autres entretiens avec des membres de l’opposition burundaise, des gens qui avaient été emprisonnés, etc.

Je suis entré dans le pays d’une manière parfaitement légal : je suis un résident dans cette région et comme tel nous pouvons voyager Librement aux pays voisins. J’avais également informé un couple de hauts fonctionnaires burundais que je viendrais. À Bujumbura, j’ai demandé une accréditation comme je l’ai toujours fait. D’abord, ils m’ont dit que ce ne serait pas un problème, mais quand je suis allé chercher mes papiers, j’ai été appelé au bureau d’un des responsables du CNC, l’organe qui fournit les cartes de presse.

Il m’a dit clairement que j’étais entré au Burundi « illégalement » en tant que journaliste et que ma sécurité sur le sol burundais ne pouvait être garantie tant que je resterais dans le pays. Cela, Monsieur le Ministre, c’était une menace direct ! Au CNC on me disait aussi ouvertement que presque tous les médias Belges étaient contre eux.

Des gens comme moi s’habituent à être expulsés des pays, à se voir refuser des accréditations et / ou des visas pour les points chauds que nous essayons de couvrir. Parfois, nous couvrons également les conflits avec les groupes rebelles et nous voyageons dans les pays où ils se battent sans visa. Je ne veux donc pas me plaindre du fait que le gouvernement burundais ne veut pas que je fasse mon travail dans leur pays ou qu’ils ne veulent pas réagir aux allégations de l’opposition qui est maintenant principalement active à l’extérieur du pays.

Mais ce que je veux souligner dans cette lettre, c’est le fait que la situation au Burundi s’aggrave du jour au jour. Je couvrais les troubles sur place pour plusieurs médias. Mais aujourd’hui, la situation ne fait que s’aggraver : j’ai parlé à plusieurs diplomates à Bujumbura et ils m’ont tous raconté la même histoire. Ils ont tous des informations sur les arrestations en cours et le fait que beaucoup de gens sont en train de disparaître.

Non seulement les membres de l’opposition, mais aussi les personnes innocentes et les gens qui collaborent avec le régime. Personne ne semble être en sécurité pour ce qu’on appelle le SNR (Service National de Renseignements) ou la Documentation.

Ces diplomates m’ont dit que la tactique de la terreur avait changé : l’année dernière, ils ont arrêté ouvertement les gens dans les rues. Aujourd’hui les gens sont arrêtés, un par un, dans leurs villages. Et ils disparaissent tout simplement. La plupart d’entre eux ne reviennent plus. Il est difficile de coller un nombre à ces arrestations, mais on m’a dit que si l’on sait que chaque jour une personne est arrêtée dans chaque village burundais, le nombre total de personnes qui disparaissent par mois serait de plusieurs centaines.

Cette histoire est confirmée par d’autres qui pourraient échapper et d’autres qui ont été torturés dans les cellules du SNR. J’ai également parlé aux réfugiés burundais qui viennent de fuir le pays. Il est devenu impossible de visiter les Burundais à la maison et de leur parler parce que ceux qui reçoivent des visiteurs sont obligés d’en informer les chefs locaux.

Au Burundi, tout le monde espionne tout le monde. Pour moi, il était difficile de quitter le centre-ville parce que j’ai été ouvertement suivi par les gens de la Documentation. Mais j’ai parlé à de vieux amis dans les cafés et ils m’ont tous dit la même chose : les gens vivent dans la terreur, personne ne sait ce que l’avenir va leur apporter et ils se sentent tous oubliés par la communauté internationale. Ceux qui peuvent encore fuient le pays, mais beaucoup d’entre eux sont arrêtés à la frontière par les milices du président.

Je suis retourné au Burundi pour parler aux responsables. Mais ils m’ont refusé ! Trouver un bâton pour battre un chien n’est pas difficile. Mais ce que je ne comprends pas, Monsieur le Ministre, c’est que le monde extérieur ne veut pas réagir aux problèmes actuels du pays. Les Imbonerakure, la milice du président, maintient le pays dans une position ferme. Ils sont bien équipés et prêts à réagir si le pays serait attaqué.

Le pays se prépare pour une nouvelle guerre !

Il se transforme en une deuxième « Corée du Nord » et nous avons tous permis que cela se produise. Alors que tout cela se produit, certains de leurs meilleurs dirigeants marquent le monde entier pour trouver du soutien. Dans mon hôtel de Bujumbura, j’ai vu Willy Nyamitwe, l’un des conseillers les plus proches du président, s’adresser à une petite foule de gens au Canada à la télévision (son discours a été diffusé sur la télévision nationale burundaise).

Il prétendait que la paix dans le pays était maintenant rétablie et qu’ils étaient même ouverts à la presse étrangère et aux groupes de défense des droits de l’homme pour examiner toutes les allégations en leur nom. Cet homme est considéré comme le « Joseph Goebels » du régime-Nkurunziza et comme vous lisez ma lettre, il fait la même chose en Europe. Je me demande pourquoi vous lui avez tous permis de faire cela.

Monsieur le Ministre, je vous demande de défendre ce pays et de dire à ses dirigeants que c’est assez. La Belgique connait bien les Burundais et on peut pas les abandonner. Le fait que le Moyen-Orient soit en feu ne nous permet pas d’oublier d’autres conflits et des questions urgentes. Le Burundi est un beau pays avec des gens très hospitaliers et sympathiques. Ne laissez pas un couple de radicaux corrompus détruire cela ! Et ne venez surtout pas me dire quand ce sera trop tard que Vous n’étiez pas au courant de la situation.

Source: http://fr.igihe.com/arts/securite/lettre-ouverte-du-journaliste-marc-hoogsteyns-au.html

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