Qui gagnera la confrontation Nkurunziza - Bunyoni ?
#Burundi Avec la mise en place de nouveaux organes du CNDD-FDD le 20 août 2016 à Gitega, Pierre Nkurunziza a dû faire un choix entre les généraux #Bunyoni et #Ndayishimiye; mais sa confrontation avec Bunyoni ne fait que commencer... Peut-on y tirer une lueur d'espoir pour le pays ?
C'est la toute première fois que Pierre Nkurunziza est confronté à un tel défi depuis l'éjection de Hussein Radjabu en 2007: faire face à la rivalité du n°2 de son propre camp! Alain-Guillaume Bunyoni veut être président et ne cache plus ses ambitions. Il est l'officier le plus gradé du DD-System, il est très riche, il est soutenu par les éléments les plus durs des services de sécurité, il connait tous les secrets et les faiblesses de Nkurunziza, il est le plus organisé des anciens maquisards du CNDD-FDD, peut-être aussi le plus égoïste juste après Nkurunziza. Mais Bunyoni a une faiblesse de taille: autant on le craint autant il est moins populaire dans tous les milieux. Du Bunyoni "ça craint partout", son nom évoque dans l'opinion burundaise la cupidité et la méchanceté. Il passe pour un homme insensible au malheur d'autrui, l'homme qui se délectait des souffrances de son propre frère, le Général Rodrigue Bunyoni mort en novembre dernier en exil à Kampala. Un solitaire mégalo qui ne peut agir que quand il voit un intérêt pécuniaire personnel.
En dépit de son image très négative et des sanctions américaines qui lui collent à la peau depuis novembre 2015, le Général Bunyoni a profité de la disparition du Général Adolphe Nshimirimana et de l’effacement de Nkurunziza pour s'attirer la sympathie des radicaux du système CNDD-FDD. Face à un président traumatisé qui vit désormais cloitré dans ses palais, Bunyoni se montre en public quand tout va mal et veut rassurer par son courage. Il enchaîne des conférences de presse pour vanter son bilan sécuritaire, il organise des descentes sur terrain pendant des opérations de police, il visite les régions et s'assure d'une bonne couverture médiatique. Son cortège n'a plus grand-chose à envier à celui d'un président et gare à celui qui entraverait sa circulation même en cas de violation du code de la route. En juillet dernier, un chauffeur de bus de transport a été gravement tabassé en public à Bujumbura, par la garde du « Général » pour avoir légèrement touché un véhicule du cortège de Bunyoni qui venait de lui couper dangereusement la priorité (http://www.bonesha.bi/Un-chauffeur-de-bus-tabasse-par-la.html). Au lieu de recevoir réparation, sans aucun contrôle de la police de roulage, le pauvre chauffeur a reçu un châtiment public qu'il n'oubliera jamais. Quelques heures plus tard, la colère du terrible « Général » s'est ensuite déversée sur des femmes qui avaient osé prendre et partager les images de cette scène macabre. On notera en outre que la scène s'est passée juste un jour après l'assassinat de la députée EAC Hafsa MOSSI dans la matinée du 13 juillet 2016. Avant son assassinat, la députée avait partagé à plusieurs de ses amis les menaces qu'elle recevait du Général Bunyoni et aurait même imploré Pierre Nkurunziza qui l'a juste calmée. Une semaine après Hafsa, une autre burundaise, ancienne cadre aux services financiers de la présidence de la république pendant que Bunyoni était chef du cabinet civil de Nkurunziza, a échappé de justesse à une tentative d'assassinat par des Imbonerakure à Nairobi au Kenya. La femme aurait également reçu des menaces de Bunyoni pour des dossiers de corruption impliquant le « Général » dont elle aurait eu connaissance. C'est cette image de toute puissance que Bunyoni tente de développer face à un Nkurunziza peureux dont les membres du CNDD-FDD commencent à douter de ses capacités à gérer la crise en cours.
Le Général Bunyoni - qui se nomme lui-même « Mutama 2 » alors que le vrai « Mutama » est Nkurunziza- tente aussi de jouer sur le registre de la représentation du pays sur la scène internationale, un élément par ailleurs très marquant dans la conception du pouvoir. Alors que son patron se terre et ne répond plus à aucune invitation internationale, Bunyoni est à la recherche d'occasions de voyages internationaux. En février 2016, il a rendu visite au contingent burundais en mission de paix en République Centrafricaine et y a organisé deux séances importantes de causerie avec les policiers burundais. Début juillet, il voulait se rendre à New-York à un sommet des pays contributeurs de policiers dans les missions de l'ONU et ainsi défier sur son territoire l'Amérique qui l'a sanctionné. Un hic malheureusement pour lui: il est rentré très fâché Bujumbura car aucune autorité de l'ONU ou de la Centrafrique ne l'a reçu à Bangui ; à New-York le Burundi n'a même pas été invité et ses policiers viennent d’être renvoyés de la RCA. Mais quand même...lui, il veut voyager!
Enfin, à la différence de Nkurunziza, Bunyoni parle et il a des idées. Certes ses idées sont des plus dangereuses, mais il sait les exprimer contrairement à un Nkurunziza presque muet et aux arguments complètement farfelus. Devant les policiers burundais à Bangui, il s’est livré à une longue analyse géopolitique du conflit burundais tout comme il a tenu récemment un discours dur contre la France après la résolution 2303 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Un autre élément qui ne trompe pas, c’est le soin qu’il commence à mettre dans son look ainsi son omniprésence dans les media depuis un certain temps. « Mutama 2 » est tiré à quatre épingles, même sa tenue de police est toujours à sa taille et bien mise. Le goût des honneurs, il en a particulièrement montré lors du lancement du nouveau "permis de conduire biométrique". Ainsi Bunyoni se présente comme le rare ministre qui parvient à initier des réformes raisonnables en cette période de léthargie et de déconfiture de l'économie burundaise. Le jour de la célébration du 54ème anniversaire de l'indépendance du Burundi, Bunyoni s'est présenté aux cérémonies avec sa fille, l'autre "terrible Bunyoni" des réseaux sociaux ; une exposition familiale que jusqu’ici se permettait Pierre Nkurunziza uniquement. Comme si cela ne suffisait pas, Bunyoni commence à concurrencer Nkurunziza sur le terrain de la démagogie populiste en distribuant des vivres pendant les travaux communautaires. Avec autant d’efforts, il ne lui manquait plus qu'un pas avant de se lancer sur la voie de la succession à Nkurunziza: obtenir le contrôle du CNDD-FDD.
Trop pressés, Bunyoni et ses partisans ont commis l’erreur de se dévoiler rapidement. Ils ont réussi à convaincre Nkurunziza de la menace de Pascal Nyabenda et inventé toutes sortes d’arguments contre le pauvre député de Bubanza. Un civil ne peut pas diriger le parti des combattants, un seul homme ne peut pas diriger à la fois le parti et l'assemblée nationale, Nyabenda veut dialoguer avec l'opposition pour piloter la transition qui chasserait Nkurunziza, Nyabenda serait un allié de Radjabu (Lire http://www.girijambo.info/2016/08/11/assassinat-de-hafsa-mossi-la-mort-guettent-dautres-dignitaires-dd/), etc. Difficile de savoir la réalité de toutes ces accusations, mais le résultat ne s’est pas fait attendre : Nyabenda vient de perdre la présidence du CNDD-FDD à sept mois de la fin de son mandat. Sa chaise au perchoir serait également visée.
Nkurunziza n'est pas dupe, il sait à qui il a affaire. Déjà en 2012, Bunyoni voulait la présidence du parti. Je ne sais pas l'argument utilisé pour l'en empêcher, mais il lui a trouvé une consolation en le nommant comme son chef du cabinet "civil". D'une pierre deux coups: d'une part il le calmait par un poste juteux (après tout Bunyoni est toujours attiré par l'argent), d'autre part il l’éloignait du commandement direct des troupes en le retirant du ministère de la sécurité. Là aussi Bunyoni n'a pas caché ses ambitions: loin d'être un technicien invisible, il a fonctionné comme un véritable premier ministre. « Mutama 2 » coordonnait à sa manière l’action des ministres et commençait, dans les derniers mois avant son limogeage, à prononcer les mots d’accueil du Président, dans certains ateliers. Grâce à ce passage dans son cabinet, Nkurunziza tient secrètement « Mutama 2 » par de graves dossiers de corruption qui ont émaillé sa gestion du cabinet présidentiel, le dossier le plus important étant la volatilisation de 8 millions de dollars pour l'achat d'un avion présidentiel qui n'a jamais atterri à Bujumbura. Plus méchant, plus malin que lui, Nkurunziza n'hésitera pas à sortir le dossier quand il se sentira réellement menacé par l'ambitieux général de Rutana. Prétextant les pressions internationales, Nkurunziza a dégagé les généraux Bunyoni et Nshimirimana de leurs puissantes positions en novembre 2014. Nommé à un poste sans aucune envergure comme secrétaire permanent du conseil national de sécurité, Bunyoni ne s'est pas avoué vaincu: il a fonctionné comme le patron de tous les services de sécurité, donnant des injonctions aux ministres de la sécurité, de la défense et au patron du SNR. Redevenu ministre de la sécurité dans une situation de crise grave, Bunyoni est aujourd’hui le véritable numéro deux du gouvernement Nkurunziza.
Naturellement, Bunyoni de par son arrogance et son mépris a suscité des jalousies et des solides inimitiés à l'intérieur même du système CNDD-FDD. L'un des hommes les plus frustrés par la surpuissance de Bunyoni est un général de Gitega: Evaritse Ndayishimiye. Un homme plutôt jovial, rompu aux négociations, plus ouvert au dialogue, moins impliqué dans la corruption, moins cité dans les tueries. Un général du premier cercle des dirigeants du maquis, tantôt admis dans le cercle des puissants (Nkurunziza, Nshimirimana et Bunyoni), tantôt écarté du cercle qui le soupçonnait d'être un faible. Lors du limogeage de novembre 2014, Bunyoni et Nshimirimana ont exigé à leur tour l'éloignement de la présidence de deux autres généraux: Evariste Ndayishimiye (alors chef du cabinet militaire) et Guillaume Nabindika (alors chef du cabinet police). Un signe éloquent de la méfiance Bunyoni-Ndayishimiye. Autour du Général Ndayishimiye s'est progressivement constitué un autre cercle des frustrés. Au premier rang, le successeur de Bunyoni au ministère de la sécurité, le Général Gabriel Nizigama qui n'a jamais eu les coudées franches dans son ministère. Bunyoni a gardé un oeil sur le ministère et a continué à tirer des ficelles, surtout à contrôler des domaines qui généraient des rétro-commissions pour lui. L'autre frustré anti-Bunyoni est le Général Prime Niyongabo, qui ne supporte pas les intrusions de « Mutama 2 » dans son domaine militaire. Les hommes d'Evariste Ndayishimiye sont fatigués de l’état de déliquescence de l’Etat et auraient un plan pour sauver le pays: stopper la corruption, limiter le clientélisme dans les nominations à des postes de responsabilité, arrêter les tueries et normaliser les relations avec les pays voisins tout en sauvegardant l'hégémonie du CNDD-FDD. Ils ne savent pas encore s'ils doivent maintenir ou chasser Nkurunziza, mais ils sont décidés à neutraliser Bunyoni et ses acolytes les plus extrémistes. Ils ne comptent pas donner de l'espace à la société civile et à l'opposition, ils auraient plutôt certains modèles préconçus qu'ils voudraient imiter. Dans sa malignité, Nkurunziza a laissé croitre cette axe anti-Bunyoni composée des moins durs et qu'il croit pouvoir manipuler à sa guise.
Ainsi, Nkurunziza se retrouve entre deux feux. Il a choisi le camp du courant qu'il considère comme le plus faible et le plus malléable. Quand il aura anéanti et remis Bunyoni à sa place, il compte jouer son rôle préféré: celui du médiateur entre des courants internes qui ne se digèrent pas. Sur un plateau d'or il a remis les clés du CNDD-FDD au Général Ndayishimiye tout en se réservant la place de vrai président du parti et en lui joignant certains de ses inconditionnels. Au cabinet civil, il vient de placer le grand rival de Bunyoni, le Général Nizigama. Bunyoni et ses acolytes vont-ils riposter? Bunyoni va-t-il tenter de bloquer la révision constitutionnelle qui permettrait à Nkurunziza de briguer un quatrième mandat? L'affrontement entre les deux blocs aura-t-il enfin lieu? Bunyoni va-t-il consommer cette humiliation? Evariste et son groupe vont-ils aller au bout de leur projet? Les prochains jours nous réserve probablement des surprises.
Mais une chose est sûre: le salut du Burundi passera par le dialogue inclusif et la construction d'un véritable Etat de droit. Celui-ci ne peut pas s'accommoder de l'impunité des crimes. Il ne se construira jamais avec un imposteur comme Pierre Nkurunziza. Le salut du Burundi passera aussi par la réconciliation nationale et le changement des mentalités sur la gouvernance. Je reste confiant que même au sein du CNDD-FDD, il y a encore des hommes à même de dépasser les intérêts sectaires et partisans pour s'associer aux autres forces vives de la nation. Il reste à savoir si Evariste Ndayishimiye arrivera à dépasser les faiblesses de caractère que lui collent ses adversaires et s’il peut ambitionner d’entrer dans l’histoire comme celui qui aura ouvert la porte vers la rédemption du Burundi. Vers un Burundi juste et libre !
#Sindumuja
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