"Vaincre la peur" : dernier discours de Pacifique NININAHAZWE à la tête de FORSC
Discours du
Délégué Général d’Honneur de FORSC, M. Pacifique NININAHAZWE, à la réception de
remise et reprise avec son successeur, M. Vital NSHIMIRIMANA
Bujumbura,
Chez André, 19 avril 2013
« VAINCRE
LA PEUR »
Honorables
parlementaires,
Mesdames,
Messieurs les représentants du Gouvernement,
Mesdames,
Messieurs les représentants du Corps diplomatique et consulaire,
Mesdames,
Messieurs les représentants des organisations internationales,
Mesdames,
Messieurs les représentants des confessions religieuses,
Mesdames,
Messieurs les représentants des média,
Monsieur le
Délégué Général de FORSC, mon cher ami Vital Nshimirimana,
Chers collègues
de la société civile,
Distingués
invités,
Mesdames, Messieurs,
Les mots me manquent ce soir pour vous dire combien je
suis heureux ;
Heureux de vous recevoir tous, au nom du Forum pour le
Renforcement de la Société Civile FORSC, dans ce beau restaurant du Chez André,
car votre présence témoigne de votre attachement à la cause que nous défendons
et de votre soutien à FORSC et à la société civile burundaise.
Heureux de terminer en beauté, sain et sauf, un mandat
qui est loin d’avoir été facile ; un mandat qui a failli coûter et ma vie
et l’existence même de FORSC mais que j’ai réussi à terminer, non par mon
mérite personnel, mais grâce à la collaboration d’une équipe formidable et à
votre soutien.
Heureux de terminer avec un bilan, avec une
organisation qui a connu une croissance indéniable au cours des quatre
dernières années que ce soit en termes de programmes, de personnel, de moyens
d’actions, mais aussi en terme de visibilité sur le plan aussi bien national
qu’international.
Heureux aussi de pouvoir vous présenter mon
successeur, le quatrième Délégué Général de FORSC, Monsieur Vital Nshimirimana qui succède à moi et à mes deux
prédécesseurs Pie Ntakarutimana et Nestor Bikorimana.
Heureux enfin de vous annoncer que… mon mandat est bel et bien terminé !
J’ai eu la chance, « le peuple ne
m’a pas demandé de modifier la constitution » pour lever la limitation
du nombre des mandats. J’ai également eu la chance de constater que mes deux
mandats étaient tous valables, je n’ai
pas donc eu le malheur de contester, de renier un de mes mandats pour postuler
un troisième !
Je ne dis pas ces mots pour vous amuser, je suis
sérieux. Je ne quitte pas la présidence de FORSC parce que je n’en suis plus
capable, non plus je ne quitte pas la présidence de FORSC parce que les membres
ne veulent plus de moi. Dans deux mois, j’aurai 37 ans, j’ai encore la carrure
pour porter ces responsabilités. Certes nous n’avons pas un système de sondage
crédible, mais les échos qui me parviennent me disent qu’un bon nombre de
membres pensaient que mon départ n’était pas opportun. Mais je pars, parce que
j’ai été élu sur un contrat avec les membres de FORSC. Ce contrat, notre
constitution, se nomme les Statuts de FORSC, et il est strict sur le nombre de
mandat d’un Délégué Général : un mandat de 2 ans renouvelable une seule
fois ! Les contrats, les statuts, la Constitution, ils sont faits pour
être respectés ! Nul – président d’une association, président d’un parti
politique, président d’un conseil d’administration ou président de la république – ne devrait se cacher derrière la
popularité ou les artifices malicieuses pour échapper au nombre de mandats qui
lui sont autorisés en usant ou en abusant du pouvoir qui lui a été conféré.
Charles De Gaulle disait qu’il vaut mieux partir cinq ans plus tôt que cinq
minutes trop tard. Personne n’est indispensable, si cela est valable pour une
organisation de 1quatre6 membres, cela est encore plus valable pour un pays de
9 millions d’habitants. Des bruits courent déjà, laissons-les dans le registre
de la rumeur et gardons l’espoir que dans l’amendement annoncé de la
Constitution de la République du Burundi on gardera à l’esprit ce principe
contenu dans l’Accord d’Arusha que « nul n’exercera plus de deux mandats
comme président de la république » et que l’on se rendra à
l’évidence que l’exception sur les modalités d’une élection n’enlève aucunement
sa nature à un mandat présidentiel. Un mandat c’est un mandat, le maximum de
mandat autorisé est de 2 mandats. J’en appelle, comme toujours, au
courage ; le courage de se défaire de mauvais conseillers pour le
détenteur du mandat, le courage de dire la vérité pour l’entourage du détenteur
d’un mandat, le courage de résister aux abus en tant que peuple détenteur de la
souveraineté nationale.
Il y a quatre ans, j’ai été élu dans un contexte
politique complexe qui, comme si l’histoire devait se répéter, avait beaucoup
de similitudes avec le moment où je passe le témoin à mon successeur. Il y a quatre
ans, on était à une année des élections de 2010 et beaucoup de questions se
posaient sur les libertés publiques. Le parti FNL d’Agathon Rwasa avait du mal
à obtenir son agrément par le Ministre de l’intérieur tandis qu’Alexis
Sinduhije, leader du MSD, se trouvait en prison à Mpimba et rencontrait
également des difficultés à faire agréer son parti. Il y a quatre ans, les
jeunes de certains partis commençaient à tenir un langage effrayant et finirent
par s’affronter de manière violente dans certaines provinces du pays. Il y a quatre
ans, des réunions de certaines associations de la société civile ont été
interdites dans certaines provinces sous le prétexte qu’elles n’étaient pas
autorisées par l’administration communale. Il y a quatre ans, FORSC a été
supprimé par le ministre de l’intérieur sous le prétexte qu’il comprend des
organisations agréées par des ministres différents. Aujourd’hui encore, à deux ans
des élections de 2015, la question de la
liberté des partis de l’opposition reste posée. Aujourd’hui encore les libertés
publiques sont menacées par des initiatives légales restrictives sur la liberté
de la presse, sur la liberté de réunion, sur la liberté d’association avec un
projet de loi énonçant notamment que des associations non agréées par le même
ministre ne pourront plus former un même collectif. Aujourd’hui encore, les
villages sont quadrillés par les jeunes de la ligue Imbonerakure qui
terrorisent ceux qui pensent autrement sous le prétexte qu’ils assurent la
sécurité et, en face, les leaders de l’opposition commencent à appeler à la
mobilisation de leurs jeunesses respectives. Face à ces situations d’il y a quatre
ans, FORSC a protesté, dénoncé, mobilisé, plaidé et, avec les autres forces
vives du pays, il a quelques fois gagné. Aujourd’hui encore, le moment de la
protestation, de la dénonciation, de la mobilisation et du plaidoyer synergique
est venu pour des victoires encore plus éclatantes. J’en appelle encore une
fois au courage du dirigeant qui commence à légiférer par la peur des libertés
qui ont fondé sa lutte d’hier et au citoyen de vaincre la peur pour sauvegarder
ses droits chèrement acquis.
Il y a quatre ans, j’ai été élu à la veille du début
des consultations nationales pour la mise en place des mécanismes de justice
transitionnelle. Une certaine peur était perceptible, certains croyaient que
les consultations nationales risquaient d’éveiller les démons d’hier. Les
consultations se sont bien déroulées dans une parfaite collaboration entre le
gouvernement, la société civile et les Nations-Unies. Aujourd’hui encore, nous
sommes à la veille du vote d’une loi sur la Commission vérité et
réconciliation. La peur reste perceptible dans la conduite du processus de
justice transitionnelle. Certains ont peur d’appliquer le rapport des
consultations nationales, il n’y en a qui ont peur d’une vérité qui pourrait
exploser et qu’ils ne pourront plus maitriser, et chacun voudrait que la vérité
soit dite sur les crimes de l’autre. Prenons le courage du consensus pour un
processus qui rassure tous les burundais, pour une vérité qui libère les cœurs
des victimes et des bourreaux. Agissons rapidement pour que l’enfant qui naitra
ce soir ne porte pas la responsabilité des crimes qu’il n’a pas commis. Tous,
nous devons vaincre la peur.
Il y a quatre ans, Ernest Manirumva était assassiné !
Tout au long de mes deux mandats, FORSC a pris le lead d’une campagne inédite
pour réclamer la justice et la vérité sur la mort d’Ernest Manirumva. Ceux qui
ont tué Ernest avaient peur de l’enquête qu’il menait sur des armes qui
auraient été commandées par la Police Nationale mais qui ne seraient pas
arrivées dans les magasins de la Police. Des policiers ont été assassinés,
d’autres ont disparu parce qu’ils en sauraient sur cet assassinat. Le sénateur
qui lui avait donné ce dossier est en fuite au Canada de peur d’être assassiné
à son tour. Pendant quatre ans, nous nous sommes mobilisés, nous avons pris le
courage de crier, nous avons obtenu des soutiens mais nous n’avons toujours pas
de vérité. Hélas, le juge a eu peur
d’explorer certaines pistes, il a eu peur de dire le droit.
Honorables,
excellences,
Distingués
invités,
Mesdames,
Messieurs,
Ce pays est embrigadé par la peur depuis plusieurs
années et il doit s’en défaire pour évoluer et devenir un espace de libertés et
d’épanouissement des citoyens.
Même si je parlais des ressemblances troublantes, au
cours de mon mandat, j’ai vécu un moment unique que le nouveau Délégué Général
ne verra pas : la célébration du cinquantenaire de
l’indépendance ! Avec une devise
intéressante « 50 ans, 50 œuvres », nous avons célébré le
cinquantenaire. Célébrer des œuvres ? Mais pourquoi pas puisqu’il y en
avait ! Des écoles, des centres de santé, des immeubles, sont bien sortis
de la terre grâce à des burundais qui avaient retroussé la manche pour le
développement de leur pays. Une telle implication des citoyens dans la
construction de leur pays ne peut qu’émerveiller. Mais cela pouvait être
complété par la réflexion, par une analyse critique, par un
questionnement : d’où venons-nous et où allons-nous maintenant ? Nous avons eu peur d’affronter notre
passé, nous avons eu peur de nous évaluer par rapport aux rêves d’il y a
cinquante ans, nous avons eu peur de nous comparer aux autres. Ce chapitre
pouvait être douloureux. Un des trois pays les plus pauvres du monde, un des
dix les plus corrompus, nous sommes loin du rêve de justice sociale, de
prospérité, de solidarité nationale qu’affichait le Prince Rwagasore.
Laisse-moi vous raconter cette histoire imaginée par
un ami sur un certain Burikukiye. Burikukiye est un nom qu’on donnait aux
enfants nés le jour de l’indépendance ; lui aussi, il est né le 1er
juillet 1962 d’un père hutu mobilisateur du parti UPRONA. Trois ans plus tard,
son père a été assassiné au cours des événements de 1965. A dix ans, en 1972,
il a perdu tous ses grands-frères scolarisés dans différentes écoles du pays,
par le fait de la répression de l’époque. Avec sa mère, il prit le chemin de
l’exil au Rwanda où il grandira dans la haine des tutsi qui avaient tué les
siens. A 20 ans, il s’engage dans différents mouvements politiques burundais en
gestation à l’époque au Rwanda. A 26 ans, en 1988, il participe à l’attaque de
Ntega et Marangara. Arrêté pendant quelques semaines, il parviendra à
s’échapper de la rude prison pour retourner au Rwanda. A 31 ans, il revient au
Burundi et s’angage ardemment comme propagandiste du FRODEBU en 1993. Victoire
et désillusion, Burikukiye retourne dans la rébellion après l’assassinat du
Président Ndadaye. Après une décennie passée à se cacher, à attaquer et à terroriser, Burikukiye se réjouit de la fin
de la guerre et participe aux élections de 2005 comme mobilisateur du CNDD-FDD.
L’embellie sera de courte durée puisqu’il se désolidarise de son parti après
l’éjection et l’emprisonnement d’Hussein Radjabu. En 2010, il espère de nouveau
le changement et adhère au nouveau parti FNL. Après les élections, il sera
torturé et emprisonné mais arrivera à s’échapper de nouveau. Désespéré, il est
de nouveau tenté par une expérience guerrière. Le 1er juillet 2012,
alors qu’il s’apprête à fêter ses cinquante ans ainsi que le cinquantenaire de
l’indépendance, il reçoit un appel téléphonique d’un ami qui promet de le
recruter dans un nouveau mouvement de libération du pays. Le soir, son corps
est retrouvé décapité sur une colline de Bujumbura Rural. Chaque décennie de sa vie a été marquée par
la peur et chaque fois il a tenté de résoudre ses problèmes en disséminant la
peur.
L’histoire de Burikukiye est une fiction qui nous
rappelle que le 1er juillet 2012, on a oublié de célébrer aussi le cinquantenaire de la peur ! On
aurait pu dire « cinquante ans,
cinquante peurs ».
Honorables,
excellences,
Distingués
invités,
Mesdames,
Messieurs,
Au cours des quatre dernières années, je me suis
employé à défier la peur. Cette peur diffuse dans le peuple burundais et qu’on
ne sait plus localiser. La peur du lendemain amène le dirigeant à se cramponner
à tout prix à son poste. C’est cette peur
qui amène à la restriction des libertés publiques, à l’assassinat des défenseurs
de droits de l’homme. C’est cette peur qui empoisonne les relations entre la
société civile et le gouvernement. Cette peur commande la révision de la
Constitution, de violer le consensus d’Arusha pour s’octroyer un mandat de
trop. La peur amène aussi le citoyen à abandonner son combat, à tolérer la
violation de ses droits fondamentaux, à se complaire avec ce qui lui nuit. La peur amène les citoyens à applaudir des
voleurs et des tueurs. Comme dirait l’autre, « ce qui m’effraie ce n’est pas l’oppression des méchants, c’est
l’indifférence des bons ». En effet, la peur amène à feindre
l’indifférence quand on a envie de protester avec toutes ses forces.
En terminant, je voudrais souhaiter au nouveau Délégué
Général, à mon ami Vital Nshimirimana, et à son équipe de s’investir pour
casser cette peur qui, au bout du compte, ne profite à personne. Je lui
souhaite beaucoup de courage pour élever la voix quand tout le monde se tait,
d’oser dire la vérité sans partie pris si ce n’est que dans l’intérêt du pays.
Pour le reste, il ne me reste plus qu’à vous remercier
pour tout l’appui dont j’ai bénéficié de la part de chacun d’entre vous. Ma
gratitude va particulièrement aux membres de FORSC qui m’ont soutenu, aux
membres de mon comité, au staff de FORSC et à tous nos partenaires.
Bonne continuation et longue vie à FORSC.
Je vous remercie.
Commentaires
Je suis très reconnaissant qu'il y a d'homme de valeur qui suivra votre sentier. Un bon discours, Un bon exemple. Merci infiniment.