Discours du Président du FOCODE du 06 février 2014

MOT D’OUVERTURE DE L’ATELIER D’EVALUATION DE L’ETAT DES LIEUX DE LA MISE EN APPLICATION DE L’ACCORD D’ARUSHA POUR
LA PAIX ET LA RECONCILIATION AU BURUNDI

Bujumbura, le 06 février 2014


Honorable Président Sylvestre Ntibantunganya,
Honorables Parlementaires,
Mesdames, messieurs les représentants des missions diplomatiques et consulaires,
Madame la Coordinatrice du Fonds canadien d’initiatives locales,
Mesdames, messieurs les représentants des organisations internationales,
Mesdames, messieurs les représentants des partis politiques,
Mesdames, messieurs les représentants des organisations de la société civile,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,

C’est pour moi un honneur et un agréable plaisir de vous accueillir et de vous adresser, au nom du FOCODE et en mon nom propre, la cordiale bienvenue à cet atelier  d’évaluation de l’état des lieux de la mise en application de l’Accord d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, atelier qui rassemble différents acteurs œuvrant au Burundi.

Cet atelier s’inscrit dans le cadre d’un projet intitulé «Analyse des enjeux par rapport aux élections de 2015 au Burundi », initié par le Forum pour la Conscience et le Développement FOCODE avec l’appui financier du Fonds canadien d’initiatives locales auxquelles nous adressons nos sincères remerciements.

Mais pourquoi une évaluation de l’état des lieux de la mise en œuvre de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi ?

Point n’est besoin de rappeler ici l’importance de l’Accord signé entre les acteurs politiques burundais le 28 août 2000 à Arusha en Tanzanie en présence d’éminentes personnalités régionales et mondiales. Il suffirait de compter le nombre de fois que le mot Arusha est répété par jour, par semaine, par mois dans les différentes éditions de l’actualité, dans les différents débats politiques, dans les différents séminaires et ateliers pour se rendre à l’évidence. Aucun acteur politique burundais important ne conteste à ce jour l’importance de cet accord et les transformations qu’elle a insufflées dans la société burundaise.

Le Burundi d’avant Arusha et le Burundi d’après Arusha sont complètement différents.

Depuis que l’Accord d’Arusha a été progressivement mis en application, la population burundaise se sent de plus en plus en sécurité. D’ailleurs, il y a deux ans, 80% des burundais ont indiqué dans une étude conduite par GRADIS qu’ils se sentaient en sécurité. Cet aspect a connu une telle réussite qu’une certaine opinion commence à dire qu’on a même plus besoin de l’Accord d’Arusha; oubliant que la paix retrouvée est une résultante de cet Accord et se maintient à travers ce même Accord.

Le Burundi d’avant l’Accord d’Arusha est un Burundi que personne d’entre nous n’aimerait revivre. Les années de coups d’état sanglants, des massacres, des villes mortes, des embuscades routiers, des innocents brulés en pleine ville, des centaines de milliers des citoyens en exil et dans des camps de déplacés, etc … Je me souviens encore de ces années où je passais les trois heures du trajet Makamba-Bujumbura, mes yeux grandement ouverts, mon âme en prière constante, implorant le bon Dieu que la personne qui surgira de la gauche ou de la droite de Rukonwe ne soit pas armée et à la recherche de ma vie. Un sentiment que partageaient 18 à 25 autres passagers dans chaque minibus. L’euphémisme burundais rappelait que l’espérance de vie était de 24 heures renouvelables. Nous sommes venus de loin. Le chemin a été long en années et en sang versé. 

Cette paix retrouvée nous a donné une bouffée d’oxygène pour entamer le processus de réconciliation nationale. L’Accord d’Arusha a tracé le chemin pour ce volet aussi.

La réconciliation nationale et une paix durable sont intimement liées. Si la paix retrouvée ces dernières années nous a donné cette bouffée d’oxygène pour entamer le processus de réconciliation, c’est la réconciliation qui, à son tour, va pérenniser cette paix et la rendre durable. Ces derniers jours nous constatons combien les retards observés dans la mise en place de certains mécanismes de réconciliation risquent de ou commencent à saboter la paix chèrement acquise.

Le peuple burundais ne se réconciliera définitivement que quand l’histoire de notre beau pays sera réécrite à travers la découverte de la vérité sur les évènements heureux et malheureux qui ont jalonné notre histoire contemporaine. C’est par des mécanismes prévus à Arusha telle la Commission Vérité et Réconciliation - indépendante et impartiale -  que notre paix se pérennisera. L’absence de cette commission tiendra notre génération et les générations futures dans des ténèbres qui progressivement mettront la paix sociale en danger. Ceux qui n’apprennent pas de l’histoire risquent de la répéter, dit-on ; et on n’apprend pas d’une histoire que l’on ne connait pas.

Je souffre en sachant que le bébé qui naitra ce soir, à la fin de cet atelier, portera encore le lourd fardeau et la responsabilité des crimes qu’il n’a pas commis et qu’il n’a pas connus, mais simplement parce qu’il aura le tort de partager l’ethnie des supposés auteurs de ces crimes abominables ! Nous devons agir pour arrêter cela.

La réconciliation ne peut pas se concevoir non plus sans la justice. C’est ainsi qu’Arusha avait prévu des mécanismes pénaux qui devraient être renforcés par la reconfiguration du système judiciaire burundais afin que le peuple burundais puisse se sentir réellement dans ses droits. Malheureusement si ceux qui sont au pouvoir et ceux qui ne s’y reconnaissent pas divergent sur l’impartialité et l’indépendance de la magistrature burundaise, le pire est que bientôt 10 ans après la fin de la période de transition, les mécanismes de justice transitionnelle eux n’ont même pas vu le jour. Nous burundais, à Arusha, avions reconnu que « des actes de génocide, des crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité ont été perpétrés depuis l’indépendance contre les communautés ethniques hutu et tutsi au Burundi.» Ces crimes odieux ne se sont pas commis eux-mêmes et ne sont pas à la charge des étrangers. Nos bourreaux se la coulent douce dans les classes dirigée et dirigeante. Comment peut-on espérer que le Burundi éclora et se réconciliera définitivement si d’ici encore 10 ans, l’impunité reste le mot d’ordre, les crimes du passé s’accumulant sur ceux du présent et du futur?

Ma conviction est qu’à moyen et à long terme, l’absence des mécanismes de justice prêtera un énorme préjudice au processus de réconciliation et à la paix.

D’ici une dizaine d’années, la génération née après l’Accord d’Arusha aura l’âge requise pour siéger dans des augustes assemblés et légiférera pour notre nation entière. Pour eux, les horreurs d’avant Arusha seront des récits des parents ou des histoires des livres. Si nous continuons sur la trajectoire actuelle, ces jeunes législateurs ne connaitront de l’histoire du Burundi que la vérité partiale orale ou écrite selon qu’ils sont d’une ethnie ou d’une autre. Avec l’absence d’une commission vérité et réconciliation et d’un tribunal indépendant sur les crimes du passé, cette génération n’aura réellement rien appris de notre histoire et risquera de la répéter. La faute ne sera pas leur, mais plutôt celle de notre génération qui aura failli à ses responsabilités devant l’histoire.
Arusha, ce n’est pas seulement le traitement de notre histoire fâcheuse. Arusha c’est aussi la construction d’un Etat qui rassure tous les burundais, qui garantit une bonne gouvernance au profit des citoyens de ce beau pays et qui respecte les droits et les libertés de tous les fils et filles du Burundi. Des pas ont été certes marqués, d’autres restent à franchir. Des craintes d’un retour en arrière sont quotidiennement exprimées ça et là.

Le projet de révision de la Constitution issue de l’Accord d’Arusha est en ce moment à l’origine d’une vigoureuse polémique et d’une crise politique dont nous ne mesurons pas encore les effets. Sommes-nous toujours sur la bonne voie ? Pouvons-nous nous permettre aujourd’hui de commencer à sortir d’Arusha ? Voilà des interrogations qui restent au cœur de cet atelier.

Notre consultant, Monsieur le Président Ntibantunganya, auquel j’adresse déjà mes remerciements pour la qualité de son analyse, pose dès le départ une question fondamentale : l’Accord d’Arusha survivra-t-il dans un paysage politique burundais désormais dominé par les anciens mouvements politiques armés ?

Que pouvons-nous ensemble proposer face à cette situation pour éviter un dramatique retour en arrière ? Le profil et la qualité des personnalités invitées dans cet atelier me donnent l’espérance que nous pourrons, à terme, produire des recommandations intéressantes.

En terminant, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, en dépit de vos nombreuses responsabilités ; et je formule enfin mon vœu que cet atelier ne soit pas un de plus.

Je vous remercie.

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