Trois questions à Pacifique NININAHAZWE par Bujumbura News


Trois questions d'actualité à Pacifique NININAHAZWE

Nous inaugurons sur BUJUMBURA News une nouvelle rubrique intitulée "Trois questions d'actualité à ... ". Nous avons choisi Monsieur Pacifique NININAHAZWE pour être notre premier invité.

Sur la fusillade de Businde: D’après vous pourquoi le président n'a pas écourté sa visite à l’étranger comme il l'a fait pour l'incendie du marché central et les massacres de Gatumba ? Donnez aussi votre opinion sur ce drame.

Le Présidente Nkurunziza est un homme très complexe et je dois avouer que je comprends rarement ses choix. Tantôt il se présente comme un président très proche des petites gens et, à ce titre, on le voit tous les samedis dans les travaux communautaires avec la population, il se montre lavant les pieds des paysans à la manière de Jésus, partageant des brochettes avec des paysans, jouant au football avec des équipes communales dans ses tournées dans les provinces, dansant avec la population dans ses croisades évangéliques. Tantôt il se mure dans un silence incompréhensible, surtout dans les moments dramatiques. Je n’ai jamais entendu le Président Nkurunziza prononcer le nom Ernest Manirumva alors que depuis 4 ans plusieurs organisations de la société civile se battent pour avoir la vérité et la justice sur l’assassinat du militant anti-corruption. Face aux centaines de cas d’exécutions extrajudiciaires des militants de l’opposition, le Président s’est toujours tu. 

Le président n’a jamais participé aux funérailles des soldats burundais tombés sur le champ d’honneur en Somalie ou en mission en RDC, même après la mort du commandant du contingent burundais en Somalie le Général Major Niyoyunguruza. Malgré sa proximité avec la population, il semble insensible aux cris des veuves et des orphelins après l’assassinat des pères de famille. Pire encore, il ne condamne jamais, du moins publiquement, les exactions commises par des services de sécurité, surtout quand elles entrainent mort d’homme ! Gatumba a été une exception : le Président s’est déplacé sur le lieu du drame, il a montré toute la douleur dans son visage, et il avait promis la lumière dans un mois et des sanctions sévères contre les auteurs de ce « crime contre l’humanité ». Deux semaines plus tard, ses services de renseignements ont sorti un rapport impliquant les leaders de l’opposition dans le drame de Gatumba. 

Les révélations faites plus tard sur certaines radio ont montré plutôt que de hautes personnalités des services de renseignement et de la police auraient planifié et commandité l’hécatombe de Gatumba. Depuis, le mois des promesses a passé, on n’a plus entendu le Président, la lumière n’est toujours pas faite et le procès est loin de se passer dans la transparence ! Une autre seule fois le Président a montré sa sensibilité à un cas de la mort des citoyens, c’était après l’effondrement du bâtiment en construction qui devait abriter le siège de son parti le CNDD-FDD à Tankoma, à Gitega. Le conseil des ministres et la session du parlement avaient alors suspendu leurs activités pour assister les maçons victimes de ce drame. Je ne sais pas si cette sensibilité s’attachait plus à la mort des citoyens qu’à l’effondrement de la permanence du parti au pouvoir. Dans d’autres cas, on a vu beaucoup de morts, de manière atroce, mais aucune des deux institutions n’a bougé. Le cas du marché est différent, il ne s’agit pas de mort d’homme !

Ceci dit, je ne suis pas surpris de l’absence de réaction de la Présidence de la République sur le drame de Businde. Le président pouvait ne pas écourter son séjour en France mais exprimer sa sympathie envers les familles éprouvées à travers une déclaration médiatisée. Comme d’habitude il s’est tu. Deux ministres se sont rapidement rendus sur le lieu – ce qui est une première et une très bonne chose- mais malheureusement ils ont donné un message d’intimidation au lieu d’apaiser. Je n’ai pas compris où ces deux ministres pouvaient trouver une telle force devant six cadavres et plusieurs dizaines de blessés, l’un pour proférer d’autres menaces aux membres du groupe de prière de Zebiya, l’autre pour remercier la police qui venait de faire « un très bon travail » ! C’est inhabituel dans la culture burundaise, même devant le cadavre d’un ennemi on se retient ! On attendait du gouvernement un message de compassion, de consolation, de solidarité et de responsabilité, on a reçu celui de l’arrogance et du mépris : « vous avez voulu des martyrs, maintenant vous les avez ! ».

Pourtant, le drame de Businde est aussi incompréhensible qu’inacceptable. Le mouvement de prière de Zebiya existe depuis trois ans au su et au vu de l’administration. Les media n’ont cessé d’évoquer des aspects liés à ce mouvement, l’administration n’a pas bougé. Le mouvement a proliféré et a attiré des catholiques venant de tous les coins du pays, y compris des ecclésiastiques. Le mouvement a inquiété l’Eglise vers la fin de l’année dernière et c’est alors que l’administration s’est levée pour interdire le pèlerinage mensuel vers Businde. Les adeptes de Zebiya tiennent fermement à leur foi et la police veut les en empêcher par la force, un comportement plutôt contraire à notre Constitution qui consacre la laïcité de l’Etat du Burundi et garantit en son article 31 la liberté de religion qui implique selon l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme « la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » 

Dans le conflit de Businde, l’administration doit garder sa neutralité et travailler pour sa résolution pacifique. Deux voies sont ouvertes : essayer de trouver une solution durable avec l’Eglise catholique ou bien accompagner les adeptes de Zebiya à créer leur propre église en se conformant à la loi. Le gouvernement doit en outre sanctionner les policiers qui ont tiré sur une population non armée après l’avoir rassemblée selon la déclaration de la CNIDH. Cette brutalité qui se manifeste chaque fois qu’il y a des manifestations appelle les responsables de la police à organiser des formations solides pour les agents de la police nationale sur l’encadrement des mouvements de la population. Sinon on est en face de catastrophes annoncées. Au lieu de remercier ceux qui ont tué, le ministre devaient sanctionner les défaillants et renforcer sa police par des formations adéquates. Il en va de la crédibilité des institutions. Un conseil aussi  vers les adeptes de Zebiya qui comprennent notamment des avocats, des prêtres et d’autres intellectuels. Je leur conseillerais de suspendre momentanément leur pèlerinage le temps d’un dialogue avec leur église et l’administration. J’en appelle enfin à l’autorité de l’Ombudsman pour qu’il se saisisse rapidement de ce dossier afin d’assurer la médiation entre les citoyens en danger et la République.

Sur l'arrestation de Giswaswa: Il parait que seul les hutu du CNDD FDD peuvent voler dans les caisses de l’état et les tutsi n'y ont pas droit ? Donnez également votre point de vue sur cette arrestation en général.

Je ne voudrais pas aborder cette question sous l’angle ethnique : hutu ou tutsi, s’il est coupable qu’il réponde de ses actes. Je m’intéresse plutôt au mobile, à la procédure suivie et à la signification de cette arrestation. Sous ces angles, des interrogations ne manquent pas.

Maitre Evrard Giswaswa a été arrêté par la commission chargée d’enquêter sur l’incendie du marché central de Bujumbura pour des infractions en rapport avec la mauvaise gestion du marché ou de la mairie de Bujumbura. Cette arrestation suit celui du Directeur Général de la SOGEMAC Cyprien Horugavye. Veut-on nous signifier par là que le marché a été incendié par ceux qui voulaient cacher leur mauvaise gestion ? Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas brûlé le bureau de la SOGEMAC. Il nous faut sûrement attendre le rapport de la commission pour vérifier s’il existe un lien entre cette mauvaise gestion et l’incendie du marché. Sinon il serait surprenant qu’il soit poursuivi par une telle commission et non par le parquet près la cour anti-corruption pour des fautes de gestion ou des infractions connexes à la corruption. Le nom d’Evrard Giswaswa avait déjà été cité dans plusieurs dossiers de corruption ou de malversations financières. 

Des organisations de la société civile avaient même écrit au Chef de l’Etat pour demander la suspension du Maire de la Ville pour l’engagement des enquêtes sur ces dossiers, mais aucune réponse n’avait suivi ces demandes. Maitre Evrard Giswaswa semblait intouchable comme nombre de certaines autres personnalités du CNDD-FDD. Il affichait une telle arrogance qu’il n’avait pas hésité à déclarer qu’une autorité de son rang ne pouvait pas se faire soigner dans un hôpital de petites gens comme le Prince Régent Charles. Comme bon nombre de ses collègues, il était devenu insolemment riche et avait oublié ses origines et ses combats d’hier. Il y a quelques mois, dans un débat sur la radio Isanganiro il s’insurgeait contre la société civile qui osait s’exprimer sur des dossiers en justice. Je lui avais juste souhaité de ne pas avoir besoin un jour de cette société civile qu’il vilipendait et lui avait rappelé qu’avant d’être Maire il avait manifesté devant le palais de justice, avec ses confrères avocats, tenant une torche allumée en plein jour pour demander où est passé la justice. Il m’avait juste opposé un sourire gêné. Je ne sais pas s’il garde aujourd’hui la même idée.

Je dois aussi dire que j’ai été secoué par les images de son arrestation. Ces images traduisaient une certaine méchanceté. Arrêté à son retour de mission à l’Aéroport de Bujumbura, on ne lui donne même pas le temps de passer chez lui saluer les siens, il est conduit dans un interrogatoire de six heures, et à la sortie il n’a même pas le droit de saluer sa sœur en cris et en pleurs. Il apprend la levée de son immunité parlementaire par téléphone et une garde impressionnante de policiers armés le garde comme s’il s’agissait d’un vulgaire bandit ou d’un terroriste qui risquait de filer entre les doigts de la police ! J’ai été particulièrement frappé par l’homme qui coordonnait les opérations d’arrestation de Me Giswaswa…c’est un certain Colonel David Nikiza dont le nom est cité dans plusieurs dossiers d’assassinats et de corruption. Evrard Giswaswa et David Nikiza ont été par ailleurs cités par l’OLUCOME dans un dossier d’une société fictive, Burundi Car Services, qui aurait fourni, avant son enregistrement, des huiles de moteurs en quantités anormales à la police nationale et qui était constituée de personnalités qui n’avaient pas le droit de commercer. C’est dire qui si cela était confirmé, David et Evrard se retrouveraient ensemble dans certains dossiers… David n’a jamais été poursuivi, il a à peine failli être arrêté par la troisième commission d’enquête sur l’assassinat d’Ernest Manirumva. Et c’est lui qui revient pour arrêter Evrard Giswaswa ! 

C’est probablement à ce niveau que votre question revêt une certaine importance. Pourquoi est-il facile d’arrêter Evrard Giswaswa, mais pas David Nikiza ? Pourquoi a-t-il été facile d’arrêter le Directeur Génaral de la SOSUMO, qui n’a toujours pas comparu devant une juridiction depuis plus de deux ans, alors que cela semble impossible pour certains autres ténors du parti présidentiel en dépit de la déclaration de tolérance zéro à la corruption par le Président de la République ? Pourquoi a-t-il été facile d’arrêter Hilaire Ndayizamba (le bailleur du parti) et de lui coller l’assassinat d’Ernest Manirumva en ignorant les puissants cités dans les différents rapports d’enquête ? Il serait probablement intéressant d’analyser les rapports de force et les positionnements au sein du CNDD-FDD en vue des prochaines échéances électorales pour comprendre cet état de choses.

Tout ce que j’espère est que l’arrestation de Me Giswaswa serve de leçon à ceux qui se laissent griser par la parcelle de pouvoirs qui leur est conférée, qu’ils ne continuent pas à graisser la machine liberticide qui va les broyer un jour, mais qu’ils profitent plutôt de leurs positions privilégiées pour promouvoir les droits et les libertés des citoyens qu’ils restent après tout. Qu’ils ne se trompent pas, hutu ou tutsi, ils auront un jour besoin de ces libertés qu’ils contribuent à enterrer. Le pouvoir est un mirage trompeur, il brille un court moment mais il finit par te quitter !

Sur la visite du président en France: Malgré la libération de Ruvakuki, la visite du président semble avoir été un fiasco au niveau médiatique. Aucun media n'en parle en Europe or que tout les medias ont parlé de la libération du journaliste. Votre point de vue.

J’ai parfois l’impression que nos autorités n’ont pas encore compris le fonctionnement du monde actuel. Au Burundi, nous avons une liberté de la presse plus poussée comparativement aux autres pays de la région, il en va de même pour la liberté d’association au regard du dynamisme de la société civile burundaise. Au lieu de tirer les avantages de cette situation, en vantant l’image d’un pays des libertés, les autorités burundaises multiplient les maladresses en prenant des initiatives restrictives de nos libertés : arrestation et autres harcèlements judiciaires de journalistes et des défenseurs de droits de l’homme, projets de lois restrictives, discours officiels menaçants, etc.

Non seulement ce genre de pratiques font mal au peuple burundais mais ternissent davantage l’image des autorités burundaises et en premier lieu celle du Président de la République. Au lieu de continuer à faire la différence dans la région, le pouvoir essaie plutôt de copier des pratiques autoritaristes en cours dans les pays limitrophes. Il se tire ainsi la balle dans son pied parce que certains de ces pays peuvent au moins vanter leur bonne gestion des fonds qu’ils reçoivent de la communauté internationale ainsi que leur positionnement stratégique pour la stabilité de la région.

Revenons sur le cas Ruvakuki. Le président a limité les dégâts en libérant le journaliste quelques jours avant son arrivée en France, le contraire aurait été dramatique pour lui. Mais partout où il passe, l’image d’un président prédateur des libertés lui colle à la peau, il aura besoin des efforts énormes de communication pour changer cette image. Aujourd’hui Hassan Ruvakuki est plus connu dans le monde que notre président, et si Hassan se rendait en France il aurait probablement plus de couverture médiatique que le Président. Récemment des burundais vivant en France me disaient qu’ils avaient de la peine à de parler de leur pays d’origine parce qu’on leur rétorquait : « c’est ce pays qui emprisonne le journaliste Hassan Ruvakuki ? » J’espère que le pouvoir saura tirer une leçon de cette situation ; le monde est devenu très petit et l’information va très vite. 

L’arrestation injuste d’un journaliste ou les événements de Businde sont plus forts que tous les discours présidentiels ou autres messages diplomatiques d’explication. Nous devons nous garder de ces pratiques rétrogrades ; ceux qui excellent par leur arrogance et irresponsabilité en croyant renforcer le Président se révèlent être au finish ses pires ennemis. Par leur zèle abusif, ils ternissent sensiblement l’image présidentielle et lui se retrouve chaque fois en position d’accusé qui doit se justifier. A deux ans de la fin de son deuxième et « dernier » mandat, le Président devrait penser à son héritage politique et à sa sortie honorable. Le temps lui reste amplement et en deux ans il peut rapidement gagner en freinant certaines initiatives liberticides de ses lieutenants. Cela passera aussi par un coup de balai au sein de son équipe gouvernementale et de son cercle de conseillers proches.

Pour le reste de ce voyage en France, je soutiens la demande formulée par le Président Nkurunziza pour l’inscription de notre tambour au patrimoine culturel de l’humanité. Ce tambour reste une richesse culturelle unique dans le monde, il doit être protégé !

En conclusion, les libertés publiques au Burundi font la différence dans toute la région. Poussons-les encore loin, améliorons la communication institutionnelle, assainissons la gouvernance économique en sanctionnant tous les coupables de corruption et malversations économiques, concentrons-nous et capitalisons nos apports pour la paix dans le monde, les dividendes seront évidentes pour le développement de notre pays !

Interview réalisé par NGOMA Charles
BUJUMBURA News, le 15 mars 2013

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