Pacifique Nininahazwe: La CENI doit tout faire pour gagner la confiance de tous les partenaires politiques.


Publié le 21 décembre 2012
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Pacifique Nininahazwe est Délégué général duForum pour le renforcement de la Société civile (FORSC)
Pacifique Nininahazwe est Délégué général du
Forum pour le renforcement de la Société civile (FORSC)
Comme nombres d’autres burundais, j’ai acceuilli avec surprise la nomination de la nouvelle equipe de la CENI. Je suis parmi ceux qui avaient salué, en septembre, l’engagement d’un dialogue entre le pouvoir et l’ADC-Ikibiri sur le processus de nomination des membres de la CENI ce qui constituait, à mon avis, un début de reconnaissance mutuelle entre les deux parties. Bien plus, j’avais trouvé fort salutaire le fait que le CNDD-FDD n’avait pas fait passer en force sa liste, préférant attendre d’avoir un consensus avec les députés minoritaires de l’UPRONA. Ma surprise est de voir la même liste votée par les partis gouvernementaux sans qu’il y ait eu poursuite de discussion avec l’opposition. De ma part, je considère cette nomination comme une option stratégique du Président NKURUNZIZA qu’il faut analyser sous plusieurs angles.
·         Une CENI légale
Analysée sous l’angle de la légalité, la nouvelle équipe de la CENI est conforme à la Constitution de la République du Burundi qui stipule en son article 90 que : «  La commission est composée de cinq personnalités indépendantes. Ses membres sont nommés par décret après avoir été préalablement approuvés séparément par l’Assemblée nationale et le Sénat à la majorité de trois quarts. » Ses membres ont été nommés par le Président de la République après approbation par les deux chambres du Parlement à une majorité très élevée, de 97 % notamment à l’Assemblée Nationale. Le fait que les députés de l’UPRONA l’ont votée lui donne plus de légitimité. On pourrait certainement discuter de l’indépendance des personnalités qui la composent, mais la loi ne définit pas cette indépendance. Le président de l’ADC-Ikibiri a estimé que le vote devait être séparé pour chaque membre de la CENI, mais cela n’est pas précisé dans la Constitution. Tout le débat reste donc sur le fait de maintenir deux personnalités contestées par l’opposition.
·         Un piège tendu à l’ADC-Ikibiri
L’entêtement à nommer dans la nouvelle équipe de la CENI deux personnalités contestées par l’ADC-Ikibiri n’est pas sans fondement, il relève plutôt d’une stratégie politique. L’ADC les conteste en arguant qu’ils ont été au centre d’une terrible fraude électorale, et pour preuve ils ont déclaré des chiffres différents de bulletins de vote fabriqués localement par la maison MEX. Le parti au pouvoir quant à lui  justifie leur nomination par leur expérience. Les deux arguments ne sauraient convaincre. L’argument de l’expérience ne tient pas quand il s’agit de personnalités contestées par un important partenaire électoral, d’autant plus qu’on pouvait trouver d’autres personnalités qui remplissent la condition de l’expérience et du consensus. Ici je donnerais l’exemple du Président de la CENI de 2005, Monsieur Paul NGARAMBE.
De même, l’argument de l’ADC-Ikibiri ne convainc pas. En 2010, j’ai coordonné une équipe de 5000 observateurs nationaux, je n’ai reçu aucune fiche d’observation mentionnant les fraudes électorales. En comparant les résultats de 500 bureaux de vote pris au hasard et ceux de la CENI, nous avions trouvé un écart de 10 voix seulement. Je n’ai jamais entendu l’ADC Ikibiri avancer son vrai score de 2010, et l’on ne saurait baser la fraude électorale sur les deux chiffres portant sur quelques milliers de bulletins de vote pour une seule circonscription électorale sur un total de plusieurs millions de bulletins. Ici l’enquête était facile pour l’ADC, elle ne devait pas se fier aux rumeurs. Nos observateurs avaient fait état de plusieurs irrégularités, certes non négligeables, mais pas de la fraude.
Mais rien de tout cela ne peut justifier qu’on nomme des personnalités non consensuelles. Dans un débat auquel j’ai participé le 09 décembre 2012 à la RPA, le Président du CNDD-FDD a bel et bien déclaré que c’est le Président de la République qui a choisi les bonnes personnes pour la CENI ; une façon de dire, à mon entendement, que le Président a imposé les deux personnalités contestées. Mais pourquoi ce choix ? D’une part, le Président NKURUNZIZA sait que Pierre Claver NDAYICARIYE a bien collaboré avec les partenaires financiers, en l’occurrence les différents ambassadeurs accrédités à Bujumbura. Le Président de la CENI a informé ses partenaires sur chaque étape, et sur toutes les difficultés qu’il a rencontrées. Aux yeux de tous ceux-là il est irréprochable. Ainsi, par la nomination des deux commissaires contestés,  Pierre NKURUNZIZA a fait d’une pierre deux coups : son choix ne mécontente pas la communauté internationale qui connait bien les qualités du Président de la CENI et il a tendu un bon piège à l’ADC car aucun partenaire ne l’écoutera quand elle évoquera les «  fraudes massives » de 2010. Et si d’aventure elle décidait de boycotter de nouveau, elle risque de se décrédibiliser davantage.
Une autre raison stratégique peut également entrer en jeu. Y-a-il un intérêt particulier du Président NKURUNZIZA dans les élections de 2015 ? Le Président n’a jamais déclaré sa candidature aux présidentielles de 2015, mais un bon nombre de ses démarches montrent qu’il se prépare minutieusement. En catimini, il s’est fait acquitté par la Cour Suprême, en juillet 2011, dans une affaire qui pouvait constituer un obstacle à sa candidature. Certes  l’arrêt reste contestable, mais qui l’attaquera et devant quelle juridiction ? Le Président NKURUNZIZA a en outre évoqué, dans son message à la nation de fin 2011, un amendement de la Constitution sans préciser son objet. Certains pensent qu’il pourrait aller jusqu’à lever le verrou constitutionnel de la limitation du nombre de mandats présidentiels, ce qui serait très hasardeux et contraire à l’éthique de l’East African Community. D’autres estiment que, par un habile et subtil argument du toilettage de la Constitution, il pourrait décider d’enlever le titre relatif aux dispositions particulières pour la première période post transition, dont l’article 302 instaurant l’exception du mode d’élection du premier président post transition. En faisant cela, il ne restera plus que l’article 96 qui parle de deux mandats d’un président élu au suffrage universel direct. Plus que l’intéressé, les responsables de son parti n’hésitent pas à mentionner dans des débats médiatiques la possibilité de la candidature du Président NKURUNZIZA s’il le désire estimant que le mandat de 2005 à 2010 n’est pas à compter dans le nombre de mandats du Président puisqu’à l’époque il était élu par les deux chambres du Parlement (une aberration à mon sens : un mandat est un mandat quel que soit le mode d’élection ; l’Accord d’Arusha précise qu’aucun président n’aura plus de deux mandats). Le Président a lui-même déclaré sur BBC qu’il prendra sa décision le moment venu et que la question de sa candidature pourra être tranchée par la Cour Constitutionnelle. Mais ce que les gens ne voient pas encore est que si la CENI ne pose pas la question de la recevabilité de la candidature du Président NKURUNZIZA, on n’aura même pas besoin de passer par la Cour Constitutionnelle ! Si Pierre-Claver NDAYICARIYE et Prosper NTAHORWAMIYE sont réellement des candidats du Président, ils pourraient avoir la mission de recevoir la candidature sans poser de question de recevabilité. Mais là aussi ils devront convaincre ou s’imposer sur les trois autres commissaires… Sur tous ces aspects que je viens d’évoquer, seul l’avenir nous donnera un éclairage adéquat.
·         La balle dans le camp de la CENI
Avec la participation des députés UPRONA, la phase de la nomination de la CENI est terminée. Il revient à la nouvelle équipe de tout faire pour gagner la confiance de tous les partenaires politiques. J’ai comparé les débuts de la nouvelle CENI aux débuts du deuxième mandat du Président NKURUNZIZA en 2010. Le pouvoir en place a commencé avec un score extraordinaire (plus de 80% de sièges aux deux chambres du Parlement) mais avec des contestations de plus de 30% de l’électorat. Son plus grand défi était de parvenir à gouverner pour tous les burundais, pas seulement pour ceux qui les ont élus. Deux ans et demi plus tard, ceux qui ne les ont pas élus sont nommés « ennemis du pays ». La CENI actuelle, également votée par une majorité écrasante du Parlement, bute aux contestations d’une partie de ceux qu’elle doit servir et doit prouver qu’elle est au service de tous les partis politiques. Elle doit être à l’écoute de tous les partenaires et aller au-delà des seuls aspects techniques d’organisation d’une élection. Elle doit se battre pour des textes électoraux consensuels, pour la liberté de tous les partis, le retour au pays et la protection des leaders de l’opposition en exil ainsi que le financement équitable des partis politiques.
·         Tout n’est pas perdu pour l’opposition
Je ne pense pas qu’il soit encore possible de remettre en cause la composition actuelle de la CENI. Mais si l’opposition mène de bonnes négociations sur le code électoral et l’amendement de la constitution, il pourrait être possible d’ajouter deux autres membres à l’équipe actuelle de la CENI. Des personnalités proches de l’opposition entreraient alors pour collaborer avec les cinq membres déjà en place et qui sont proches des partis au gouvernement.
Mais, pour y arriver, l’opposition doit rectifier son discours. Elle ne doit plus continuer à se focaliser sur le passé, mais réfléchir davantage sur les perspectives de 2015. Les péchés de la CENI de 2010 n’intéressent plus, sauf dans le sens de les contourner. La plus grave erreur de la CENI en 2010 se trouve au niveau de sa communication à partir du 21 mai. La CENI n’a pas préparé tous les acteurs au report de l’élection communal et n’a pas prévu de mécanisme de gestion équitable de ce report. Soumise à une terrible pression, la CENI n’a pas été capable de communiquer rapidement sur les résultats de chaque parti à chaque bureau de vote ni de publier les procès verbaux dans les meilleurs délais. Je pense aussi qu’elle aurait dû annuler les résultats de quelques bureaux de vote qui avaient connu de graves irrégularités. Mais tout ne peut pour le moment que servir de leçon pour 2015. Et l’opposition, comme la société civile, doivent s’organiser pour une meilleure observation ou surveillance du travail de la CENI.
Un des problèmes majeurs que nous avons en ce moment est que l’opposition reste en 2010 tandis que Pierre NKURUNZIZA et son parti sont bien avancés sur 2015 ! Et disons-le sans ambages, une CENI non consensuelle est un très mauvais départ pour un processus électoral.

source burundimagazine.net

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