LA LECTURE HONTEUSE DES EVENEMENTS DE 1972
Par Gratien RUKINDIKIZA
Source : Burundi News
La globalisation est devenue une des grandes maladies de la conscience de plusieurs Burundais. Les morts des Burundais ne comptent que quand ils sont exploitables politiquement. La souffrance des uns vaut plus que celle des autres chez certains Burundais. La souffrance est une et indivisible. Elle atteint l’humain qu’il soit noir, blanc, du Nord ou du Sud, hutu ou tutsi.
En 1972, la barbarie a ravagé le Burundi. Les filles et fils de la nation ont été tués en raison de leurs ethnies sans qu’ils sachent la réalité du drame. Des familles de tutsi ont été massacrées dans la province de Bururi par une milice de quelques milliers de hutu entraînés en Tanzanie. Des milliers voire plus, de hutu, surtout intellectuels, mais aussi des paysans en certains endroits, ont été arrêtés et tués par l’armée et des milices constituées de jeunes tutsi.
L’objet de cet article n’est pas de dire si il y a eu génocide de telle ou telle autre ethnie. Le grand perdant est le peuple. C’est le Burundi qui a perdu des centaines de milliers. Il a perdu aussi au niveau de la cohésion nationale.
Au mois d’avril de chaque année, des écrits de certains Burundais évoquent ces événements de 1972. Le plus souvent, ils sont déplorables et des fois pitoyables. On dirait qu’il s’agit d’une compétition des extrémismes hutu et tutsi.
La négation de l’autre entraîne la haine de l’humain
D’une part, quand certains hutu s’expriment sur 1972, ils donnent l’impression de ne pas connaître le peuple burundais. Les morts qui intéressent, qui suscitent la compassion, sont celles des hutu,
Ils oublient sciemment les massacres des tutsi.
D’autre part, quand certains tutsi s’expriment sur 1972, les massacres généralisés des intellectuels et petits fonctionnaires hutu sont ignorés. Ils ne parlent que des tutsi massacrés. Les morts des hutu ne suscitent pas de compassion chez eux.
Il suffit de lire sur deux sites internet que je ne citerai pas pour se rendre compte qu’il y a une sorte de compétition sur les écrits divisionnistes du peuple burundais. La négation de la souffrance de l’autre, l’absence de compassion sous le seul prétexte qu’il n’est pas de son ethnie est aussi une négation de soi en tant que humain en général et en tant que faisant partie du peuple burundais en particulier.
En 1972, ce sont d’abord les familles qui ont été endeuillées et ensuite la nation burundaise. Les massacres d’un groupe de la population incitent généralement une solidarité pour résister et se défendre. Cette solidarité devrait aboutir aussi à éviter que tels massacres ne se reproduisent. Or, au Burundi, ces solidarités sont devenues négatives car elles ont incarné la vengeance et sont devenues autodestructrices.
Aucune ethnie n’est responsable des massacres
Certains Burundais accusent d’autres concitoyens d’être des tueurs en raison de leur ethnie. Certains évoquent telle ethnie, responsable du malheur burundais. On entend souvent que c’est le pouvoir tutsi qui est responsable des assassinats. On entend aussi que le pouvoir hutu de 1993 est responsable des massacres des tutsi. Or, aucun pouvoir n’est hutu ou tutsi. Le pouvoir appartient à un individu ou un groupe d’individus. Pour consolider son pouvoir, un groupe d’individus peut se réclamer de telle ou telle ethnie, de telle ou telle autre province. Il le fait selon le principe de diviser pour mieux régner. Comment peut-on expliquer aux paysans hutu de Ngozi qui ont faim que le pouvoir est hutu et aussi de Ngozi ? Comment peut-on expliquer à un chômeur qui n’a même pas de toit que le pouvoir est de son ethnie ? Il le prendrait pour un humour mal placé.
Il serait difficile d’expliquer comment un pouvoir dirigé par un hutu commette tant de massacres de hutu dans Bujumbura rural. Les défenseurs de la théorie ethnique ne disent rien car le schéma perd son sens. Si les tueries de Bujumbura rural s’étaient déroulées dans une zone où il y avait beaucoup de tutsi, on aurait entendu parler de pouvoir hutu qui massacre les tutsi. Si c’était un pouvoir dirigé par un tutsi, on aurait entendu des protestations. Cependant, les hutu de Bujumbura rural n’ont pas eu de défenseurs.
Cela pour démontrer que les uns et les autres exploitent les morts quand ils peuvent générer des dividendes en termes de postes ou autres. Ils ont oublié les Burundais. Ceux qui sont massacrés, qu’ils soient hutu ou tutsi ou twa, ils sont avant tout Burundais. Il y a un seul peuple, une seule nation, un seul salut et un seul assassin. L’assassin est le dirigeant cupide, qui pense à son ventre, qui n’hésite pas à sacrifier des milliers pour se maintenir ou accéder au pouvoir. Le hutu et le tutsi sont des pions manipulés pour assouvir les appétits de quelques individus. Ces individus ont une même ethnie, la cupidité, l’insouciance du malheur du peuple.
Des larmes de crocodiles versées pour accéder aux postes
Comme je l’ai déjà signalé, dans tous les massacres, les premiers perdants sont les familles endeuillées. Ces familles sont burundaises et non hutu ou tutsi. Que dire d’un massacre d’une famille mixte ? Les perdants sont des familles des deux ethnies. En quelle qualité un hutu ou un tutsi non membre de la famille peut-il fustiger les tutsi ou hutu globalement comme étant responsables de ce malheur qui a endeuillé leurs familles ?
Ceux qui invoquent « leurs morts ethniques » tués par une autre ethnie ne disent rien quand il s’agit de mettre en danger leurs soi-disants co ethniques. Très peu de ces hutu ont critiqué le fait de faire des boucliers humains en 1988 à Ntega Marangara des paysans hutu, les laissant massacrés par des militaires alors que les commanditaires, extrémistes hutus, des massacres des tutsi étaient déjà au Rwanda. Ces extrémistes hutu savaient qu’ils laissaient des paysans sans défense et voulaient exploiter les conséquences de leur massacre prévisible.
Très peu de ces tutsi se sont opposés à l’assassinat du Président Ndadaye et des ses collaborateurs par l’armée le 21 octobre 1993. Pourtant, ils ont eu vent des préparatifs et savaient bien que des massacres des tutsi allaient s’ensuivre. Ces massacres ont servi de fonds de commerce pour certains afin d’entrer au gouvernement, dans le but de s’enrichir illicitement et d’autres pour récupérer le pouvoir.
Ceux qui versent les larmes de crocodiles oublient vite ce qu’ils disaient. Depuis qu’il y a des hutu ou des tutsi au pouvoir, à part Kibimba, aucun pouvoir n’a érigé un mémorial des morts de 1972, 1988, 1993, 1994 etc… Aucune journée n’est dédiée aux morts victimes des barbaries. Si les larmes étaient authentiques, pourquoi ces gens qui pleurent pour les morts de leurs ethnies ne mettent pas la main à la poche pour aider les affamés de Kirundo, de Ngozi, de Gitega, Muramvya ou ailleurs. Craignent-ils que leur aide profite aux Burundais d’une autre ethnie ?
Le Burundi a perdu, il a reculé et il piétine en raison de ces massacres répétitifs. La lecture honteuse de l’histoire est une épine dans les pieds des Burundais. Comprendre que la souffrance n’a pas d’ethnie est un progrès pour les Burundais. Au lieu de rivaliser sur la description macabre des morts de telle ou telle ethnie, les Burundais devraient savoir qu’ils ont tous perdu et qu’ils ont un ennemi commun : le pouvoir exploiteur, gaspilleur et corrompu. Le Burundi n’a pas besoin de dirigeant hutu, tutsi ou twa mais des dirigeants avant tout burundais.
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